• Cyrille BOULONGNE - Conseiller du Préfet de Région Normandie

    Cyrille BOULONGNE - Conseiller du Préfet de Région Normandie
    Crédit photo : Cyrille Boulongne

    DTN de la FF de Volley-Ball lors des JO de Rio de Janeiro en 2016, ayant été lui-même joueur et entraîneur professionnel, Cyrille Boulongne-Evtouchenko est tombé très jeune dans le sport avec notamment un grand-père paternel, Yves- Pierre, rescapé de Buchenwald, qui demeure aujourd’hui encore une référence dans l’olympisme grâce à ses travaux sur la vie et l’œuvre de Pierre de Coubertin. Après un DEA de sociologie à l’EHESS sur les valeurs de l’olympisme (ce qui allait de soi), Cyrille passe 15 années dans le mouvement sportif entre l’ANOF (Académie Nationale Olympique Française), le CNOSF (Comité National Olympique Français), et la Fédération Française de Volley, expériences qui lui ont permis de connaître non seulement les arcanes et les jeux d’acteurs de cet univers mais aussi d’en maîtriser les indicateurs sportifs et sociétaux dans un contexte en pleine mutation. Après les jeux de Rio, il a choisi de prendre du recul et de réorienter sa carrière dans le champ social pour devenir aujourd’hui conseiller du Préfet de Région de Normandie …. et de la partager avec AMOS Nantes.

    Cette évolution n’est pas courante ?


    « Je ne sais pas... pendant l’olympiade 2012-2016 nous avons, avec l’appui d’une équipe dirigeante visionnaire et d’une administration centrale courageuse, construit un système de performance qui a permis au volley-ball français d’apurer sa situation financière, de glaner ses premiers contrats de partenariats et surtout de décrocher ses premiers titres internationaux (Champion d’Europe et vainqueur de la Ligue Mondiale en 2015). Cette expérience internationale m’a permis de vivre un rêve que j’avais depuis tout petit. Mais cela a aussi été l’occasion d’ouvrir les yeux sur les limites du système. Après 15 ans consacrés à la performance de haut niveau, j’ai eu envie d’autre chose. J’ai donc repris des études management et en droit public avant de passer un concours de la haute fonction publique et de devenir Inspecteur de la Jeunesse et des Sports. »

    Ce corps est lui-même en mutation….


    « Tout à fait ! C’est d’ailleurs l’ensemble de l’architecture sportive qui est soumise à des évolutions émanant du monde économique et de la société civile. Dans cet environnement, l’État doit repenser son mode d’intervention auprès du mouvement sportif et des collectivités territoriales mais aussi redéfinir le rôle de ses cadres. Ayant travaillé auprès des fédérations sportives (en tant que conseiller puis directeur technique) mais aussi au sein des services déconcentrés (chef du pôle jeunesse et politique de la ville à la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale de Normandie), j’ai le sentiment que nous avons progressivement abandonné notre expertise pour devenir avant tout des gestionnaires très déconnectés des exigences de la performance, car soumis à l’exigence paradoxale de déployer toujours plus de dispositifs avec toujours moins de moyens. Bref, la tutelle de l’État est devenue avant tout et par conséquent plus très efficace et sûrement pas efficiente si l’on se compare par exemple à de tous petits pays comme la Nouvelle-Zélande. »

    Mais l’État a quels objectifs dans ce contexte ?


    « Le projet politique est difficile à lire. D’un point de vue très général d’abord, je pense que la brièveté des mandats électoraux des ministres des sports, trop largement issus du sport de haut-niveau et sans expérience de la conduite de l’action publique, ne permet pas de construire et de partager une vision commune. Que penser aussi à ce stade de l’ANS (agence nationale du sport) ? S’agit-il d’une forme de transfert de 70 ans de lois sur le sport français à un GIP où l’État paie mais n’a plus totalement la main ? S’agit-il d’un nouveau modèle où le mouvement sportif, les entreprises mais surtout les collectivités territoriales (principal financeur du sport en France rappelons-le) sauront s’accommoder d’un partage du pouvoir avec l’État tout en restant minoritaire en matière de sport de haut niveau ? Il me semble que le projet n’est pas complément dessiné et qu’il n’est pas non plus entièrement partagé. Une illustration de ce malaise réside d’ailleurs dans le recours de l’Association professionnelle de l’inspection générale de la jeunesse et des sports a déposé un recours au conseil d’État, on mesure l’ampleur du malaise… Pourtant, et si l’on s’abstrait de la discussion autour du haut niveau, il y a de quoi être enthousiaste, des perspectives existent. D’un point de vue régalien d’abord, il y a un fort enjeu à sécuriser les pratiquants, à lutter encore plus durement contre les discriminations ou les violences sexuelles ou encore à moraliser la gouvernance du mouvement sportif. D’un point de vue sociétal ensuite, le sport pourrait constituer un puissant levier et investir bien plus qu’il ne le fait aujourd’hui la politique de la ville, la santé ou les équilibres entre territoires pourvus et fragilisés. Quant au développement économique, la majorité de nos structures et de nos dirigeants n’ont pas élaboré de business model aboutis (ou le fondent uniquement sur le développement du nombre de licenciés). Pourtant les perspectives qu’offre, par exemple, le numérique sont infinies… »



    Crédit photo : Cyrille Boulongne

    Comment ce constat se traduit-il dans les faits en ce qui concerne la professionnalisation des étudiants ?


    « Il s’agit non pas d’une seule opportunité mais de très nombreux débouchés qui s’offrent aux étudiants !  Bien sûr les grands évènements sportifs et le haut-niveau les attirent, mais je pense que le développement économique du sport sera aussi largement ancré dans les territoires. Même les fédérations sportives, pour toutes les raisons évoquées précédemment, iront chercher de l’expertise dans le secteur privé et qu’une offre de conseil ciblée deviendra de plus en plus nécessaire. C’est ce à quoi j’essaie de sensibiliser les étudiants de Nantes dans le cadre de mes interventions sur la gestion de projet, la délégation de service public ou le marketing territorial. Qu’il s’agisse de la construction ou de la rénovation des équipements sportifs, de la diversification des pratiques sportives à destination de tous, ou de l’intégration du numérique, les territoires, les clubs et les fédérations ont besoin d’une expertise reconnue et labellisée qui s’appuie sur un panel de compétences acquises au cours de la formation des étudiants. Le marché du sport territorial recèle donc des potentialités en termes d’activités et d’emploi à l’image de nos voisins belges ou allemands qui intègrent la gestion d’équipements sportifs au développement social des quartiers et à l’offre de services commerciaux. Quant à l’État que je sers, il va devoir dans ce paysage renouvelé, redéfinir ses ambitions et réinventer son action au plus près des territoires. »

     
    Articlé rédigé par Alain ARVIN-BEROD, directeur du Conseil de Perfectionnement et des Publications AMOS Group. Parution dans Sport Stratégies n°658 du 25 au 31 janvier 2021.

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